Alexandre Pointet : du béton végétal et local
Par Solène Bourdais
Publié le 19 octobre 2025
Je vous ai déjà parlé d'Enora Palvadeau, qui a installé plus de 40 tonnes de machines valorisant la laine, participant ainsi à rebâtir la filière en Bretagne.
A la fin de notre entretien, Enora m'avait glissé l'idée de rencontrer Alexandre Pointet : ingénieur issu de la même école, lui aussi met toute son énergie à développer une production bio et géo sourcée.
Mais cette fois, c'est du secteur du bâtiment dont il est question.

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Intriguée, je rencontre donc Alexandre il y a quelques mois. Cerveau carburant sous son éternel bonnet en laine, il est intarissable sur les matériaux de construction, connaissant à la fois leurs propriétés, leurs provenances, leurs conditions de production, leurs impacts... Peut-être l'avez-vous croisé à Grand-Champ : il y a installé sa tiny house auto-construite l'année dernière.
Mais c'est à Baud qu'a lieu notre première rencontre, dans une zone artisanale où Alexandre et son nouvel associé Eric Le Dévéhat ont installé le bureau d'étude Kellig Emren et leur atelier de production de blocs de béton végétal.
Oui, vous avez bien lu : du béton végétal. Alexandre connaît bien le sujet, pour avoir effectué en 2009 son apprentissage chez Laurent Goudet, acteur historique du béton de chanvre projeté en France. Trois ans durant lesquels Alexandre s'est frotté à la construction de machine et au processus de fabrication de blocs chanvre-chaux. « Mais il n'y a pas d'unité industrielle de défibrage de chanvre en Bretagne. Kellig Emren signifie « cellule autonome » : ce qui est déterminant à mon sens pour l'avenir, c'est de redonner aux territoires leur souveraineté en termes d'approvisionnement de matériaux de construction sains et bas carbone, et en termes de capacités de production. »
Du miscanthus, de la terre crue et un peu de chaux

Alors, après avoir étudié différents granulats et liants, notre ingénieur choisit en 2018 de travailler à partir du miscanthus - plante vivace cultivée à quelques kilomètres pour la litière des grands animaux - et de l'allier à l'argile, à la fois abondante et sous-valorisée en Bretagne(1).
Le miscanthus est une très haute plante ne nécessitant ni traitement ni arrosage et qui a l'avantage de pouvoir être implantée sur des surfaces de faible intérêt agronomique. Elle ne nécessite pas de machine spécifique de récolte, et il n'y a pas d'autre étape de transformation que son broyage. Sortie du champ, le tour est joué : le granulat végétal est prêt.
Ces ressources sélectionnées, Alexandre s'est attelé à la conception d'une nouvelle machine, plus adaptée à leur mise en œuvre. Le recrutement d'un salarié en production, identifié via le réseau ESS(2), lui a permis d'y consacrer le temps nécessaire. « Aujourd'hui nous proposons des blocs en béton végétal « Végéo » , destinés à l'isolation et la construction de parois intérieures. Constitué d'un peu de chaux, de miscanthus et de terre crue, c'est un produit sain et hyperlocal. »
Propriétés techniques et confort dans l'habitat
En plus de leur processus de fabrication simple, low-tech et peu énergivore, ces blocs sont bien sûr complètement recyclables et même, compostables. Et leurs propriétés physiques sont très intéressantes pour nos habitations : capacités isolantes, régulation hygrométrique (absorbe et restitue l'humidité, améliorant la sensation de confort), résistance au feu, densité qui retarde fortement l'entrée de la chaleur dans les logements. Enduits d'un mélange chaux/sable ou de terre crue, ils ont une faible effusivité qui crée le phénomène de « paroi chaude », améliorant encore grandement le confort ressenti.
Mais peut-être que je vous parle un peu chinois là... Cette faible effusivité, ce ressenti très confortable, j'ai eu la chance de l'éprouver grâce à une amie (coucou Anne-Cécile :) qui a utilisé des matériaux et enduits similaires pour construire sa maison. Et vraiment, c'est surprenant : on s'y sent immédiatement bien. Un peu comme dans un cocon.
Les blocs de bétons végétaux ne jouent pas le même rôle que des blocs comportant du ciment : ils viennent en complément d'éléments structurels - comme des ossatures bois, métal ou béton armé - pour en assurer l'enveloppe thermique. Ce rôle complémentaire intéressant permet aux yeux d'Alexandre de « remettre le béton ciment à sa juste place, celle de matériau structurel : poteaux-poutres, linteaux, dalles et chapes. »
Redonner de la souveraineté dans le bâti

L'ambition de Kellig Emren, c'est de redonner aux territoires leur souveraineté en leur permettant de fabriquer « low-tech » des bétons végétaux issus de ressources disponibles localement. Cette sobriété technique confère deux avantages : la maîtrise de l'outil de production et sa modularité, qui permettent d'être plus robuste et de garantir une performance face aux fluctuations. « Malgré l'explosion des coûts de l'énergie et des matières, nous n'avons pas eu à augmenter nos prix depuis la création de l'entreprise. Cela montre l'intérêt du modèle, décorrélé des fluctuations mondiales d'approvisionnement en ressources, de plus en plus manifestes. »
Depuis sa création en 2018, Kellig Emren a fourni 66 chantiers publics et privés, et produit 2600 m2 de blocs Végéo, vendus essentiellement par bouche à oreille et mis en œuvre par des artisans et des auto-constructeurs. Pour en arriver là, Alexandre et Eric ont dû prouver le sérieux de l'entreprise et l'intérêt technique de leurs produits, par le biais de nombreuses collaborations : université UBS à Lorient, université d'Artois à Béthune, programme de Recherche et Développement Ecomaterre piloté par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Rennes, laboratoires IRDL de Lorient et Cerema de Lyon pour les études et mesures de performances thermiques, phoniques et mécaniques.
Monter en cadence
Mais le parcours n'est pas achevé : il reste des défis à relever, notamment économiques. Pour atteindre ses objectifs de production – raisonnables, le modèle étant par essence local - Kellig Emren doit maintenant poursuivre la mécanisation de sa production, qui reste aujourd'hui entre l'artisanat et le semi-industriel. Automatisation du dosage / malaxage, réduction de port de charges, optimisation des zones de séchage et de stockage... sont dorénavant sur leurs planches à dessins.
Pour permettre cette montée en cadence, Alexandre et Eric avaient besoin d'une plus grande surface de travail. Malgré leurs recherches sur notre commune, c'est finalement à Guégon que leur entreprise déménagera dans quelques semaines. « C'est vraiment une bonne nouvelle : nous allons enfin pouvoir développer l'activité, en nous installant dans un ancien poulailler industriel parfaitement adapté à nos besoins. Ploërmel Communauté nous fait bon accueil dans sa volonté de renforcer son tissu industriel et d'accueillir des industries vertueuses ».
Vous vous en doutez, le chemin choisi par nos deux ingénieurs n'est pas un long fleuve tranquille. Alors, qu'est-ce qui pousse des entrepreneurs à dédier autant de temps et d'énergie à développer ces nouvelles solutions ? J'ai posé la question à Alexandre :
« A 15 ans, j'ai eu mal au ventre de constater l'état du monde, notre développement aux dépens du vivant, toute l'énergie qu'on dépense pour nous auto-détruire, finalement. On a besoin de l'inverse. La réalité des faits scientifiques, c'est que le vivant est basé sur la complémentarité et la coopération, sur la symbiose. C'est notre regard qui projette de la concurrence partout, et donc de la destruction. Il faut en sortir. La vie, ce n'est pas le « plus fort gagne ». C'est en étant utile et nécessaire à son environnement qu'on prolifère. Là ça devient intéressant. »
L'autre, c'est un autre soi
Ecolo, pas écolo... mettre les gens dans des cases, pour Alexandre, ça n'a aucun intérêt. « Plutôt que de se tirer dans les pattes et d'opposer les points de vue, il faut y aller ensemble. Le monde est rond, il n'y a pas de frontière à la pollution. Les revers, les courbes mondiales, on va se les prendre. Il est grand temps d'assumer. L'autre, c'est un autre soi. On a besoin de tout le monde ».
Alors, pour faire sa part et la faire comme il l'estime utile, Alexandre a choisi de décliner l'offre d'achat de son entreprise par l'un des leaders mondiaux des matériaux de construction. Et de continuer son chemin entrepreneurial pour proposer des solutions locales adaptées aux défis actuels. Une chance pour nos territoires, n'est-ce pas ?
(1) L'argile représente 800 000 tonnes de déchets par an en Bretagne.
(2) Économie Sociale et Solidaire
Texte : Solène Bourdais
Photos : Guy Coste
C'est quoi ton côté Pikoù Panez ?Trouver les communes mesures. Tisser des liens entre les peuples, les gens, les métiers, les pratiques, les outils, les matières, les solutions... En décloisonnant les domaines et les modes de pensées nous identifions des points de contacts évidents et salutaires. Les méthodes de demain seront plurielles. Elles ne seront pas restreintes à l’identification de choix binaires ou à la quête de vérités absolues. Lire notre monde comme un recueil foisonnant de solutions richement diverses à des problématiques similaires donne des ailes à l’optimisme dont nous avons besoin. L’habitat en est un bel exemple : partout dans le monde les êtres vivants trouvent des techniques variées pour gérer le chaud, le froid, le vent, la pluie. Nous sommes à la fois uniques, singuliers, et partie de la grande famille du vivant. Cette fraternité indéniable me fait sentir en effet que l’autre est un autre soi. |
Comment on peut t'aider ?Mettre cette singularité en œuvre et en résonance facilitera notre demain. |
Des lectures que tu conseilles ?
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Une citation que tu aimes bien ?Victor HUGO: « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont il est temps ». |








