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Enora, ingénieure lainière

Par Solène Bourdais
Publié le 22 mai 2025



Enora a installé une ligne de production de laine cardée à Colpo avec laquelle elle transforme la laine pour les éleveurs. Loin du folklore, elle nous fait découvrir un savoir-faire et une filière en
(re)devenir.
Photos Guy Coste
Photos Guy Coste

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Ingénieure dans les ateliers de la SNCF pendant 13 ans, Enora Palvadeau a réparé et construit à la fois du « matériel roulant », mais aussi une famille, en élevant 3 enfants.  Peu à peu, les horaires d'atelier sont devenus difficilement compatibles avec une vie de parent. Elle est alors devenue cadre en Direction. « Mais ce n'était plus assez concret pour moi. Les décisions y étaient déconnectées du terrain, comme dans beaucoup de grandes entreprises ».

 

Alors, au mi-temps de sa vie, plutôt que « suivre des indicateurs, mesurer la performance et dire « y'a qu'à – faut qu'on », cette finistérienne a préféré rentrer participer à la reconstruction d'une filière industrielle, pleine de sens en Bretagne.


40 tonnes de machines

En 2021, Enora a acheté et installé 40 tonnes de machines pour carder la laine. Datant du début des années 1980, il a  d'abord fallu les dompter, les régler. «J'avais les bases, mais j'ai dû apprendre à connaître les machines, et aussi la matière. La laine, c'est comme le bois ou le vin, c'est une matière vivante. Les laines sont différentes suivant la race du mouton, mais aussi suivant sa santé, la météo... il faut beaucoup de savoir-faire pour les transformer correctement».

 

Elle s'est donc appuyée sur les connaissances de Nicolas Poupinel, un éleveur de moutons qui œuvre depuis de nombreuses années à bâtir une filière laine bretonne. « Il n'y a plus beaucoup de gens avec le savoir et l'expérience de Nicolas » témoigne Enora.  « Même les machines sont en train de disparaître, partout en Europe. Et les toisons ne sont quasiment plus valorisées. A l'heure où on veut des productions locales, non polluantes, et réindustrialiser la France, ça questionne. »


La tête et la main

Ce qui questionne également Enora, c'est le rapport de l'Homme au travail.  « Je trouve qu'on ne se pose pas assez la question de ce qui est nécessaire à l'humain pour qu'il soit équilibré dans son travail. Aujourd'hui, que tu sois cadre ou à la chaîne, on te demande juste de faire ta tâche, et de ne surtout pas  réfléchir à ce qui se passe avant, ni après. Ça a pour conséquence de couper des intentions et des intuitions.  Alors, réindustrialiser, ok, mais il faudrait aussi s'intéresser à comment on fait travailler les gens.» Enora m'explique que, lorsque son travail implique des tâches répétitives ou pénibles, elle s'organise pour varier et ne pas faire la même chose deux jours de suite. Cela lui permet de ne pas se blesser ni se lasser, et de conserver le plaisir et la fierté de faire du bon travail, de « la belle ouvrage ». « A mon sens, on ne peut pas poster quelqu'un toute sa vie au même endroit. C'est vrai pour les travaux manuels et l'industrie, mais c'est aussi vrai pour les cadres. Alors que si tu formes à plusieurs postes, ça tourne, ça s'inscrit dans un travail collectif, ça donne du sens.  Il y a plein d'écrits sur ce sujet. Il ne faut pas couper la tête de la main. »


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Loin du folklore


Avant de se lancer dans la transformation de la laine, Enora a bien étudié son sujet. Elle a créé des liens avec des éleveurs, des artisanes, des couturières, mais aussi des chercheurs en France et à l'international, et elle connaît parfaitement les propriétés physiques de cette matière si particulière.  «  Sur une dizaine de points techniques, c'est une matière ultra intéressante : en terme de chaleur bien sûr, mais pas que : elle régule l'hygrométrie, est antibactérienne, dépollue les intérieurs en captant les COV*... En plus, elle est parfaitement et facilement biodégradable. La laine en Bretagne, ce n'est pas du folklore. Et l'utiliser, c'est aussi faire vivre une filière agricole.»



Pari réussi

Pour Enora, le pari est réussi, avec 6 tonnes de laine transformées l'année dernière. « Il y a du stress, comme pour toute personne à son compte. Parfois c'est serré : il y a beaucoup de travail de maintenance, et l'entreprise est jeune. Mais mon travail me satisfait, et je sors un salaire. » De plus, les clients ne manquent pas : éleveurs du Grand-Ouest principalement, mais aussi du Lot ou encore de Moselle, ils font appel à ses services pour transformer leurs toisons et commercialiser les produits finis dans leurs réseaux. Couettes, matelas, tapisserie d'ameublement, plaids, tapis, vestes, chaussons, semelles... les applications de sa production sont nombreuses.

Et parce que c'est important pour Enora d'avoir un contact direct avec la matière et le vivant,  elle propose aussi la tonte de petits troupeaux de 2 à 10 moutons, aux ciseaux.

 

Bien loin du « y'a qu'à - faut qu'on », aujourd'hui la tête et les mains d'Enora œuvrent en cohérence, et se tourment déjà vers l'avenir : « On aimerait produire de la mèche, du fil... des projets à moyen terme. Il y a beaucoup à faire ! » Peut-être une association à imaginer avec un autre Pikou Panez, qui sait... 


*COV : composants organiques volatiles, polluants  souvent présents dans nos intérieurs (peintures, colles, certains meubles et revêtements...)


Ton côté Pikoù Panez ?

« On peut avoir fait des études et porter un bleu de travail »


Tu proposes quoi ?

« Une matière naturelle aux propriétés ultra intéressantes »


Comment on peut t’aider ?

« On aimerait produire de la mèche, du fil... des projets à moyen terme. Il y a beaucoup à faire ! » .


Des lectures que tu conseilles ?

  • La vie solide, d'Arthur Lochmann

  • L'éloge du carburateur, de Matthew B. Crawford

  • La condition ouvrière, de Simone Weil

  • L'encyclique Laudato si' du pape François (l'écologie intégrale)

Photo Guy Coste
Photo Guy Coste

Contact : Enora Palvadeau - La ferme à laine

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