L'atelier mobile de Vincent
Pour la liberté, le lien et les rapports humains
Par Anne-Cécile S. Michelet
publié le 26 août 2025
« Dans une démarche éco-responsable, quand la réparation n’est pas possible Zen-Hitech recycle vos appareils. ». Ces quelques mots publiés sur Facebook, je les avais lus sur le groupe « tu es de Grand-Champ si ». Or moi, cela me plait beaucoup, le principe de la récup’. J’aime les actions de recyclage, les envies de réparer. J’aime voir qu’il reste dans ce monde, des êtres qui résistent à la surconsommation, au « jette, tu en trouveras un mieux ».

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J’avais deux ordinateurs hors d’usage. J’ai proposé de les donner et un rendez-vous fut pris avec Zen-Hitech, le lendemain 14 heures. Vincent Poquet passerait chez moi afin de les récupérer. Une rencontre de 2 minutes, bonjour et merci compris. Ca, c’est ce que j'imaginais, mais je ne connaissais pas Vincent… Il est arrivé à l’heure. Il est reparti après 16 heures. Entre temps, nous avions discuté métier, économie, récits de vie, humains, voyages, famille, façon d'être au monde et bien sûr de mes deux ordinateurs, qu’il a récupérés, afin de les démonter et en recycler les composants qui pouvaient l’être.
Ce qu’il aime : la relation aux êtres humains
Réparation de téléphone, PC, console de jeu et micro soudure, c’est ça la profession de Vincent Poquet. Avec son entreprise Zen-Hitech, c’est ce qui lui permet de vivre, de « payer ses factures » comme on dit. Mais, au-delà des gestes techniques qui redonnent vie à nos objets, ce qu’il aime dans son travail, c’est la relation à l’autre. La relation aux objets d’abord, qu’il reconditionne au maximum pour éviter de toujours jeter. La relation aux êtres humains surtout, celle qu’il résume dans le mot « service ». « Mon père était charcutier à Grand-Champ et ma mère a eu différents commerces, notamment en restauration. Ils m’ont transmis l’importance du service dans la relation à l’autre. Elle a continué de grandir durant ma vie à la Réunion, où je suis resté 20 ans».
Si vous souhaitez juste une réparation et que vous êtes, comme beaucoup, pressé, vous aurez ce que vous attendez. Mais si vous avez besoin de comprendre, avec une liste de questions à poser, Vincent prendra du temps pour vous, celui de vous expliquer. « C’est moins lucratif mais pour moi, c’est loin d’être du temps perdu. Je peux rester deux heures chez un client, pour une petite bricole à trois francs six sous, si je sens qu’il en a besoin. Surtout chez les personnes âgées, souvent seules car trop isolées. J’aime écouter leurs histoires. C’est pas « rentable » dans le sens financier mais ça fait plaisir à eux et à moi. Parfois j’y gagne aussi une salade qu’ils vont me cueillir dans leur jardin”. Une façon de faire d’un autre temps. “Une fois mon fils m’a accompagné. En repartant il m’a demandé pourquoi j’étais resté si longtemps. A mon tour je lui ai demandé s’il n’avait pas passé un bon moment lui aussi. A son « oui », j’ai expliqué que ce plaisir-là avait une grande valeur pour moi. Je ne veux pas le sacrifier au nom de la rentabilité, même si, bien entendu aussi, comme tout le monde je dois gagner de l’argent.”
Je ne veux pas sacrifier ce lien au nom de la rentabilité

Vincent Poquet n’a pas de magasin, pas de vitrine et pas d’affiche sur laquelle il serait noté « ouvert du lundi au vendredi, de 9 heures à 19 heures”. En revanche, il a un camion qui lui permet de se déplacer. Dedans, c’est son atelier. « C’est un choix », m'a-t-il expliqué, celui qui lui permet de se rendre dans les campagnes, pour rencontrer les anciens qui n’en bougent plus. « L’atelier mobile, c’est la liberté de mon emploi du temps. Quand je suis chez un client et qu’il a besoin de parler, je peux me permettre de rester l'écouter.” Une chose qui serait sans doute plus compliquée dans un magasin, avec du passage, des horaires, de l’agitation. “J’aime ce rapport là aux autres. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai longtemps exercé le métier d’ambulancier à la Réunion. Soulager, être à l’écoute, laisser venir les émotions, aider, je trouve que c’est merveilleux. » Cependant, certains abusent et confondent l’humanité avec l'opportunité d’exploiter. “J’ai fini par les repérer, les quelques-uns pour qui la générosité va toujours dans le même sens, toujours dans leur seul intérêt. Avec eux, j’ai appris à compter avec plus de chiffres et moins de cœur”.
Travailler sans magasin, c’est aussi éviter les reproches de n’avoir pas ouvert les portes à l’heure notée. « Comme beaucoup d’enfants de commerçants, j’ai très peu vu mes parents, petit. Cela m’a manqué. Alors, en devenant parent, j’ai veillé à ne pas reproduire la même chose. Donc je travaille en décalé, le soir, le week-end… Je peux faire une très grosse semaine parce qu’un client a une urgence et la semaine d’après, prendre un jour ou deux en pleine semaine pour aller me balader avec mon fils, parce que je sens qu’il en a besoin. Je suis là pour mes clients, je suis là pour mes enfants. Il y a un temps pour chacun. Mais je comprends que tous mes collègues ne travaillent pas de cette façon. Un business ça n’est pas supposé être : s’arrêter, discuter, boire un café, mais pour moi c’est important que ces moments là fassent aussi partie de mon métier. Je n’atteindrai peut-être jamais les chiffres d’affaires de mes confrères, mais j’arrive à gagner ma vie, j’ai encore du temps pour développer un peu plus et je m’y retrouve en termes d’équilibre».
L’entraide entre commerçants et artisans, c’est très important pour moi
Cependant, s’il n’est pas complètement leur semblable, Vincent Poquet ne reste pas seul dans son coin « j’échange régulièrement avec des collègues. Nous discutons affluence, tarifs, etc, en toute transparence et sérénité ». D’autres rencontres se font aussi, avec d’autres professionnels, séduits par son atelier mobile. « C’est comme ça que j’ai rencontré Sébastien, gérant de 3 enseignes Bureau Vallée. De façon très généreuse, il m'a proposé de garer mon camion tous les 15 jours sur le parking de son magasin de Vannes. Pour lui, c’est un service supplémentaire qu’il peut offrir à ses clients, pour moi c’est une opportunité d’avoir de la visibilité. Et bien entendu, si on me demande où acheter du matériel neuf, son nom me vient immédiatement. Du gagnant-gagnant pour tout le monde. » C’est aussi de cette même façon que Romain, le gérant de Weldom Grand-Champ l’a contacté pour lui proposer la même chose. « C’est là que je me suis rendu compte qu’à Grand-Champ, il y a des professionnels super généreux. A mon retour de la Réunion, peut-être que j’en ai un peu douté. Il m’a fallu me réhabituer aux différences de mentalité. Cela s’est fait grâce au sport. Je me suis investi un peu plus dans le milieu associatif et ai rencontré des gens vraiment sympas. L’entraide entre commerçants et artisans, c’est très important pour moi”.
Par Anne-Cécile S. Michelet
publié le 26 août 2025
Vincent, quels sont tes projets en cours ?
En ce moment, mes clients me demandent régulièrement des formations, surtout parmi les anciens. Je réfléchis à une formule qui répondrait vraiment à leurs besoins et qui ne leur coûterait pas trop cher. Le mieux serait sans doute qu’ils se regroupent par trois ou quatre personnes ayant les mêmes besoins. Il ne faudrait peut-être une salle aussi. Le projet n’est pas encore mûr mais j’y réfléchis…
Et sinon je me questionne sur la pertinence d’avoir un local ouvert une ou deux fois par semaine où mes clients pourraient déposer et récupérer leur matériel. L’atelier mobile a aussi ses limites pour certains clients qui ont des horaires qui ne correspondent pas à mes disponibilités.
Jusqu'où vas-tu avec ton atelier mobile ?
Je me déplace sur toute la commune de Grand-Champ mais aussi à Locminé, Brandivy, Baud parfois, Auray, Vannes, Arradon. J’ai, parmi mes clientes, quelques entreprises un peu plus loin, mais j'évite de plus en plus de m’éloigner. Il y a suffisamment à faire ici. Disons que je circule dans un rayon de 25 kilomètres autour de Grand-Champ.
Selon toi, quel serait le vrai plus que tu aimerais voir naître à Grand-Champ, par rapport à ton activité ?
J’aimerais que les artisans et commerçants soient clairement signalés, tous. Que n’importe qui puisse en connaître la liste complète, d’un seul coup, comme cela se voit dans d'autres communes. Leurs coordonnées pourraient être affichées à l'extérieur de l’Office du Tourisme ou dans un lieu tout aussi central et accessible, pour que cela soit toujours visible. Que tout le monde y soit présent, sans sélection ni favoritisme. Ensuite, le bouche à oreille ferait le reste mais au départ, chacun aurait sa chance. C’est important pour moi que tout le monde soit là. Cela serait un peu comme l’appli « Mon village » dont je viens d’entendre parler, mais en réel, en physique et pas uniquement sur internet. À l'ancienne, quoi !









