Pour le lien humain ; contre l'obscurantisme
Tout donner pour que vive la culture !
Par Anne-Cécile S. Michelet
Publié le 9 juin 2025
Il s’appelle Fanch ou François, mais peut-être que ça, vous ne le savez pas. De même, il est possible que vous n’ayez jamais entendu parler de Niz, l’association grâce à laquelle, malgré tout, vous avez possiblement vu Fanch sur scène. En revanche, Chansons Communes, cela vous dit éventuellement quelque chose, surtout si vous fréquentez les festivals d’été. Et que vous habitez à Grand-Champ.

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Donc reprenons tout à zéro. François Bagousse, alias Fanch, est un grégamiste pur souche qui a grandi à Nizelec, un lieu-dit du côté de Loperhet. Adulte il est devenu artiste et notamment musicien. Pour son art il a parcouru la France et, lors du « Off » des Francofolies de La Rochelle, il a rencontré d’autres artistes qui partagent ses valeurs fortes. Celles-ci parlent de création, culture et aussi humanité, entraide, prendre soin ou encore bienveillance. De cette rencontre un collectif est né. Il est composé d'artistes, de techniciens et de passionnés. Sa raison d’être c’est de faire bloc, ensemble, pour tenir et se soutenir dans un milieu régulièrement exposé à d’innombrables impondérables. Enfin, il y a l’association Niz, dite l'Asso Niz. Cette dernière a été créée à Grand-Champ. C’est une structure qui accompagne la production et la promotion d'artistes dans le milieu de la chanson. François comme d’autres y est adhérent. La réunion de ces deux entités a fait naître le festival Chansons Communes. Vous suivez ?
L’envie, fin 2020, était de créer un festival de culture pour tous, clé en main, avec différentes formes d’actions artistiques et culturelles : cinéma, musique, art clownesque, chant, écriture, etc. Un moyen de tisser du lien social et intergénérationnel. Cinq jours de programmation bien ficelée, proposés à une commune, sous forme de partenariat.
Un festival pour créer du lien social et intergénérationnel
François étant né à Grand-Champ et l'Asso Niz y ayant son siège social, c'est tout naturellement qu'ensemble ils ont sollicité la Mairie. Et la Mairie a dit oui. Oui pour la mise à disposition de différentes infrastructures communales : la salle de cinéma Jo Cheviller, la partie technique de l’espace 2000... Oui aussi pour aller jouer à l’Ehpad ainsi qu’au centre de loisirs. Oui pour un atelier d’écriture à la médiathèque. Oui pour prêter matériel, salles, technique, barrières, tables, chaises, barnum… Oui enfin pour une enveloppe de 5000 euros, une somme moindre pour 5 jours de spectacle mais néanmoins un vrai soutien. Des “oui” comme autant de gages de confiance qui ont permis ensuite à l'Asso Niz, de se tourner vers l'Agglomération, le Département et la Région, pour un complément de subventions. Le tout a atteint 20 000 euros, somme nécessaire pour défrayer les artistes et leur assurer un cachet, nourrir les bénévoles, assurer une bonne ambiance, acheter des transats, un minimum de décors… Des dépenses que ne couvre pas seul, le chapeau qui tourne, à la fin des spectacles.
« Le montant des subventions municipales pour les projets artistiques de petite taille est souvent symbolique, au regard des investissements réalisés dans des projets de plus grande envergure, détaille Fanch. Mais cela représentait, néanmoins, entre 26 et 30 cachets d’intermittents. Ça n’est pas rien en terme d’emploi. Et si vous faites un bref calcul, vous pouvez vous rendre compte que ce sont de petits cachets pour tout le travail fourni et la qualité du festival. On était bien loin de l’image des saltimbanques qui se la coulent douce dans un jardin. Nous étions engagés dans un projet qui intégrait une forte envie de partage, liée à la mission d’assurer la pérennité d’un métier qui n’est pas valorisé aujourd’hui. Et où on a du mal à être payé, qu’on y soit artiste ou technicien».
L’année 1 c’était 2021, l’année impossible à oublier, celle où nous étions régulièrement confinés. La veille du premier jour du festival, le Président de la République nous annonçait l’instauration des jauges dans les festivals et salles de spectacles. En local, cela signifiait 49 spectateurs maximum là où l'Asso Niz en attendait 80. Perte sèche prévue : 50 %. Stupeur, larmes, consultation de toute l’équipe. Il s’agissait d’annuler ou pas, de renoncer au festival, prévenir les spectateurs, rentrer chez soi parfois à l’autre bout de la France, sans avoir ni joué ni été défrayé. Ou bien de dire « on ne renonce pas ». Après des échanges douloureux, chacun s’est engagé à renoncer, non pas au spectacle mais à ses gains. Ce fut cachet ou défraiement. Autrement formulé : « pas de gain d’argent », pour personne. Mais le festival fut assuré. Un état d'esprit dont on parle rarement lorsqu’on évoque les intermittents ! Mais, soit dit en passant, Niz cela signifie Nous Insistons Z’encore ! Un nom qui dit combien ses membres sont volontaires, engagés corps et âmes pour que vive la culture. Tout comme le sont aussi les membres du collectif dont Fanch est une partie.
Couper dans les budgets culturels laisse entendre
que la culture est non essentielle
Année 2 et 3 : les 5000 euros de la Mairie furent transformés en 4000. Le festival y a perdu 1 journée mais il était au rendez-vous. Pareil pour son public, de plus en plus nombreux, grâce au bouche à oreille !
2024, changement de mairie. On y annonce qu’il n’y a plus de budget. Ni d’élu à la Culture. Ni de renouvellement de partenariat. La mairesse propose à la place, à l’association, de demander une subvention, comme peuvent le faire toutes les associations. Si le dossier est accepté, le montant maximum pouvant être alloué sera de 2000 euros. "C'est-à-dire une perte de plus de la moitié pour l'Asso Niz, si tant est que cette somme nous ait été accordée.", dit Fanch. "Mais surtout, dans ce nouveau scénario, nous nous retrouvions dans l’impossibilité d’aller démarcher les autres financeurs pour qui, la perte de notre partenariat, signifiait avoir perdu la confiance de la ville. Alors nous n’avons rien demandé du tout. Le festival en à été réduit au maximum que nous pouvions supporter seuls, c'est-à-dire une journée. Tous les investissements se retrouvant à notre charge."
"Ce qui se passe à Grand-Champ, c’est un peu le miroir de ce qui se passe au niveau national", poursuit Fanch en ouvrant le sujet. En effet, depuis, l’après Covid, partout ou presque, le secteur de la culture a été mis de côté, considéré comme “non essentiel. "Ceci, sans que nul ne se préoccupe des conséquences de ce choix en termes économiques et sociaux. Au nom de la soi-disant “dette publique” et, plus récemment, de "l’effort de guerre", on a coupé et on coupe de plus en plus drastiquement les budgets. Dans les Pays de la Loire par exemple, la culture a perdu 67 % de son budget. Dans l’Hérault, c’est 100 %. Ça n’impacte pas seulement des artistes mais aussi des secrétaires, des agents de service, des électriciennes, chauffagistes, placeurs, comptables, etc. Pour prendre un exemple, 23 % de l’activité artistique en Bretagne, ce sont des métiers non artistiques."
Ce qui se passe à Grand-Champ est le miroir
de ce qui se passe au national
"Couper dans les budgets culturels laisse entendre que la culture est non essentielle. Or elle permet l’épanouissement et l’enrichissement intellectuel. C'est-à-dire qu’elle donne à réfléchir. Et c’est au contraire primordial de conserver cette ouverture là, pour ne pas tomber dans l’obscurantisme, particulièrement aujourd’hui. Et puis, si on veut parler de chiffres, le budget culture en Bretagne représente 356 millions. Ça paraît être un chiffre énorme mais il semble bien ridicule à côté des 8 milliards d’euros qui sont consacrés pour les routes. Et des deux côtés, il s’agit d’emploi".
"Beaucoup de personnes nous ont déjà soutenus", poursuit Fanch, "nous leur devons de tenir. Mais l'équipe du festival ne se nourrit pas de chiffres. En revanche, on se préoccupe des enfants et des personnes âgées qui ont été mises de côté, pour qui il n’y a plus de budget leur permettant d'accéder à la culture. Or, le public a besoin de culture. Je le sais, cela fait plus de 20 ans que je vois ses yeux briller. 20 ans qu’il dit, en repartant, " merci, j’avais vraiment besoin de ça ". Nous avons tous besoin de voyager, de nous évader… Et les formes artistiques sont là pour ça : pour créer des bulles, hors quotidien, dans lesquelles il y a de la lumière, de la magie, du son et aussi de l’émotion, du partage d’information, du vivre ensemble... C’est précieux ; c’est essentiel. Le public vient pour cet essentiel là. L'essentiel de pouvoir encore chanter dans les rues et trouver des spectacles dans nos campagnes".
“Alors de notre côté”, poursuit-il, “nous avons décidé d’avancer. Cette année, pas de Chansons Communes mais nous serons à nouveau sur scène, une journée, le 2 août, à Nizelec. Cette journée s’appellera Nous Insistons Z’encore, comme la phrase sous notre acronyme. Sur le même principe que l’an passé, il y aura un spectacle de rue et un concert. Prix de la journée, 10 euros. Possibilité de donner plus pour nous aider à perdurer, comme ce fut le cas l’an dernier. "C’est grâce à cela et à la cagnotte Helloasso que nous avons tenu. Cela n’a pas payé des cachets pour tous mais au moins celui du chanteur. Et les autres ont été correctement défrayés.
Pour l'asso Niz et ses membres, c’est important de tenir, de maintenir ce rendez-vous, aussi petit soit-il. Pour vivre ce moment de vie ensemble qui est chaque année délicieux et aussi, pour qu’il reste un écho de ce qui se passe aujourd’hui. "Si on arrête, il n’y aura plus d’écho. Or il est nécessaire de dire, de faire savoir. C’est d’intérêt public. Il faut faire attention à ce qui se passe en ce moment, au niveau des politiques nationales". Et ce rendez-vous c’est aussi cela : expliquer. "Car évidemment, lorsque le public revient, il s’étonne que le festival ait été réduit et nous, on explique pourquoi.”
“Beaucoup de personnes nous ont déjà soutenus, par leur présence et grâce à la cagnotte. Nous leur devons à tous de tenir.”
Par Anne-Cécile S. Michelet
Publié le 9 juin 2025
Fanch, quel est ton côté Pikou Panez ?Réinventer des solutions quand celles d’alors ont disparu. Ton plus beau souvenir de Chanson Communes ?Lorsque nous avons joué au village intergénérationnel. Il y avait une centaine de personnes, de tous âges et de toutes les classes sociales, qui s’étaient réunies sur la place. Un vrai mélange le temps du concert. Voir ce public là m’a ému, parce que le rendez-vous prenait tout son sens. Notre objectif c’est créer du lien, du partage. | Comment peut-on t'aider ?En parlant de nous, pour faire savoir qu’il existe de telles démarches citoyennes. Pour que cela soit enfin entendu que le public a besoin de culture de la même façon que les artistes ont besoin de public. C’est fondamental de parts et d’autres. Il faut que cela soit enfin acté pour qu’on puisse arrêter de toujours devoir l’expliquer, de toujours devoir nous justifier. Ce serait quand même plus intéressant de parler du contenu de nos spectacles plutôt que de perdre à chaque fois du temps à nous justifier pour demander 3 sous. Le festival cette année, c'est là |













