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Le masculin l’emporte, ou pas ?

Orthographe, usages et Société


par Anne-Cécile S. Michelet
publié le 04 novembre 2025
Vous ne le voyez pas dans ces pages, mais en interne, à Pikoù Panez, lorsque nous nous faisons relire nos articles, une maniaque, fait systématiquement des rajouts du type : les lecteurs et les lectrices, les rédacteurs et les rédactrices, le président ou la présidente, bonjour à tous et à toutes...
Anne-Cécile S. Michelet
Le masculin l'emporte
Orthographe
L'accord en genre et en nombre
Image empruntée au site https://www.wikitimbres.fr/timbres/

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Cette « maniaque de la rédac’ », c’est moi. L’équipe me laisse faire à chaque fois, mais dernièrement, l’une d’entre nous m’a proposé d’écrire un texte sur les raisons de cette obsession. « Sur le principe, je te comprends mais, pourrais-tu développer pourquoi, pour toi, c’est si important ?»».


C’était très gentiment dit et cette demande était sensée, ne serait-ce que pour VOUS expliquer :


  • l’emploi des termes comme toustes (qui permet de dire tous et toutes),

  • mon métier d’autrice (plutôt qu’auteure),

  • ma tendance à écrire auteurices lorsque j’évoque des hommes et des femmes qui écrivent,

  • mes tentatives d’appliquer la règle de « l’accord de proximité » que je vous expliquerai plus loin,

  • mon choix d’écrire “c’est possible” à la place de “il est possible”.


C’était gentiment dit, disais-je, mais j’ai imaginé aussi que peut-être, elle trouve mes choix exagérés. D’où mon emploi du terme maniaque, qui n’est ni un gros mot ni une insulte, en tout cas pas à cet endroit là.


« le masculin l’emporte », tout le monde l’a retenu


Écrire pour Pikoù Panez, un article sur l’orthographe, c’est possible que cela soit perçu comme «hors piste ». A moins, au contraire, que "pas du tout". N’est-ce pas finalement “très Pikoù Panez” de faire, parfois, un pas de côté ? C’est pourquoi j’ai accepté. Même si je suis impressionnée. Pensez : je m’attaque à l’orthographe, à ce qui - supposément au moins - « en a toujours été ainsi », aux règles qui ont été validées par la grande et Ô combien respectable, l’iMMMMMense Académie Française ! Comme disait l’autre « non mais allo, quoi ! »


Mais revenons à nos moutons et remontons de quelques lignes pour arriver où c'est noté : « accord de proximité ». Vous l’avez ? A priori, vous qui nous lisez, vous êtes, comme nous tous et toutes allées à l’école. Et, même si nous avons quasi toustes, deux-trois lacunes en orthographe, je suis sûre - presque à 100 % - que cette règle là, vous vous en souvenez : « pour l’accord d’un adjectif, c’est le masculin qui l’emporte ». Vous voyez, j'en étais sûre ! PERSONNE ne l’a oubliée !


  • L’histoire du COD (complément d'objet direct) qui s’accorde comme-ci ou comme-ça selon qu’il se trouve « avant ou après l’auxiliaire avoir » : effacée !

  • Le futur qui se termine en « ai » et le conditionnel en « ais », pareil : dans un trou noir de notre mémoire !


Mais, « le masculin l’emporte », tout le monde s'en souvient très bien. Même dans une situation où cinq mille femmes et un homme seraient, par exemple « tous et toutes rempli.es de joie », on nous a clairement enseigné que l’on doit écrire : « un homme et cinq mille femmes, touS joyeuX ». A un contre cinq mille. C'est noté noir sur blanc au chapitre « accord en genre et en nombre dans le groupe nominal » du Bled que j'ai trouvé dans la boite à livres de Grand-Champ. Deux points, ouvrez les guillemets : « Si au moins l’un des noms est au masculin, alors l’adjectif sera au masculin ». Et nous bien sûr, nous appliquons. Comme si cela allait de soi.


J’aimerais beaucoup être dans l’erreur


Pourtant, il fut un temps où, justement, notre langue s’écrivait autrement. Où, l’accord de l’adjectif était « de proximité » (également dit « de voisinage »). Où, l’adjectif s'accordait en genre et en nombre avec le nom qui se trouvait le plus près. Exemple : « Les femmes et les hommes étaient présents » MAIS « les hommes et les femmes étaient présentes ». Et puis, et puis… les règles ont été changées. Et devinez qui les ont réécrites ? Je vous surprends si je dis « des hommes » ? C’était au siècle des Lumières et de la naissance de l’Académie Française, il y a seulement 400 ans. Avant, sachez que c’était différent.


anne-cécile s. michelet
le masculin l'emporte
accord en genre et en nombre
orthographe de la langue française
image empruntée au site https://limmunite.fr/humour/

« Oui, mais bon... ça n’est qu’une règle d’orthographe ! Or l’orthographe, qui s’en soucie» me répondrez-vous peut-être. Pour l’orthographe, nous sommes d’accord, la majorité des gens s’en moque. Mais n'est-ce qu'une question d'orthographe ? Est-ce qu'une règle apprise dès l'école primaire qui, en plus, définit qui l'emporte, ne s'ancre pas très profondément en nous? Le poids des mots n'est-il pas si fort, qu'il influencerait toute une Société, bien au-delà de l'orthographe ?


Le poids des mots est ancré en nous


Vous trouvez que j’exagère ? Alors, quelques questions en passant :


  • En termes de négociation de salaire et à compétences égales, qui a très souvent les plus gros salaires ?

  • Qui est majoritaire dans les Codir (comité de direction) de la plupart des grosses entreprises ?

  • Qui dans le couple suit son conjoint lorsqu’il s’agit de déménager pour l’évolution de la carrière de l’autre ?

  • Qui, dans ce même couple ou un autre, se met très souvent au service du second pour lui permettre de réaliser ses rêves, ses désirs, y compris ses désirs sexuels ?

  • La voix de qui est écoutée lorsqu’il s’agit de gouverner, d’interdire, ou d’autoriser ?

  • Qui dans l’Histoire a voté les décrets pour l’ensemble de la Société, y compris lorsqu’il a été question de pilule, d’avortement, d’ouvrir un compte personnel en banque, de voter, de porter ou pas des talons, des baskets, le pantalon…


Toujours ou presque, c’est la voix masculine qui a tranché. Même lorsqu’il était question des femmes.

Femmes qui étaient pourtant adultes, majeures, les mieux placées pour savoir ce qui est bon ou pas pour elles, premières concernées par ces décisions.  


Vous trouvez toujours que j'exagère ? J’aimerais beaucoup que cela soit le cas. Mais, de fait, tous ces exemples – et d’autres - s’appuient toujours sur cette même règle, héritage du XVIIème siècle “c’est le masculin qui l’emporte”.


La moitié des êtres humains : invisibles


Alors, parce que les langues ne sont pas figées, parce que ce sont les usages qui les font bouger et parce que je crois très fort au pouvoir des mots – en positif comme en négatif – en sentinelle, lorsque je le peux, je continue de rajouter : « et les lectrices » et autres « bonjour à tous et à toutes ». Qui plus est à Pikoù Panez. Je continue parce que, OUI, je crois que c’est important :


  • De ne pas invisibiliser la moitié de l’humanité,

  • De ne pas sur représenter l’autre moitié, alors que toutes deux sont reliées. Que l’une sans l’autre, quelle qu’elle soit, est condamnée à disparaître, en une seule génération,

  • De ne pas céder au « ça a toujours été ainsi ».  


Comment s’entendre entre hommes et femmes ?


C’est de cela parfois que nous débattons, en interne, à la rédaction. Et parce que vous lisez nos textes, cela nous a semblé intéressant de le partager avec vous, par souci de transparence et davantage de proximité. Nous ne sommes pas toujours d’accord, ni entre nous ni peut-être avec vous mais ces débats sont importants, ne serait-ce que pour nous enrichir, en nous poussant à nous questionner.


anne-cécile s. michelet
le masculin l'emporte
accord en genre et en nombre
bled
cours d'orthographe

Pour en finir avec cette histoire de « petite manie », je ne sais pas si j’ai convaincu, ni mes collègues à la rédaction, ni vous-même qui nous lisez. Je ne sais même pas si j’ai raison, ni même si j’ai les « bonnes » raisons. Mais écrire m’a fait réfléchir et discuter, me frotter aux autres, quitte, un jour, à changer d'avis. Cela arrive et c’est d’ailleurs récemment arrivé : j’ai commencé par détester le mot « toustes » que, du reste, j’apprécie assez peu. Mais en attendant qu’il en naisse un autre, c’est celui qui me convient le mieux, pour tenter de dire, en incluant tout le monde. Car enfin, comment pouvons-nous arriver à nous entendre, entre femmes et hommes, si, dans notre langue française, les femmes sont en permanence invisibilisées, passées sous silence, non nommées ? C’est une vraie question que je vous pose. Vous pouvez nous écrire vos réponses.


Écrire, réfléchir, discuter


Et pour ce qui est de notre débat interne, nous avons convenu de ceci : dans nos textes de présentation, nous suivrons les règles d’orthographe et de grammaire, telles qu’elles sont posées dans les livres scolaires actuels. En revanche, dans les articles signés de notre propre nom, nous nous autoriserons à exprimer ce qui fait partie de notre identité et de notre regard sur notre Société. Dans les miens vous trouverez peut-être, mots nouveaux et autres accords de proximité.


C’est peut-être cela, finalement, avoir l’esprit Pikoù Panez. Accepter que nous sommes humaines et humains, singulières et singuliers, quelquefois sans doute imparfaites, imparfaits, en permanente évolution. Vivants et vivantes, en somme.


Texte par Anne-Cécile S. MICHELET



Pour aller un peu plus loin :

Si vous souhaitez réfléchir sur les évolutions de la langue française et comprendre le pourquoi de certaines règles, cette conférence théâtralisée est extrêmement intéressante : tedX Rennes – la faute de l’orthographe


Et, si le sujet des inégalités de genre vous intéresse vraiment et que vous voulez pousser plus loin vos réfléxions, prenez le temps d’écouter ce podcast « Chez Sally », épisode « affaire Pélicot : violences sexuelles et patriarcat (accès uniquement sur Spotify, malheureusement)

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