Billet d'humeur à la cabine à livres
Par Anne-Cécile S. Michelet
republié le 1 septembre 2025 (première mise en ligne le 4 août 25)
Cher "vous" qui avez attaqué les boîtes à livres de Grand-Champ,
Samedi matin j'ai découvert votre œuvre en ouvrant la porte de la boîte à livres près de la médiathèque. Bon... Pendant que je remettais les livres en place (je ne pouvais décemment pas refermer la porte et faire comme si j'avais rien vu), j'avoue que je vous ai traité d'un certain nombre de noms d'oiseaux : des histoires de cerveau fondu, de stupidité et autres adjectifs pas des plus élogieux c'est vrai (en réalité, mon vocabulaire était nettement plus fleuri, mais je vous en fais grâce ici). Et puis...

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Et puis, en marchant d'une cabine à l'autre pour voir si, une vous avait suffit ("spoiler" comme on dit aujourd'hui, la réponse est non, vous avez décidé de vandaliser les deux), j'ai tâché de réfléchir à ce qui pouvait motiver un tel acte. Parce que quand même, des livres... J'ai pensé, quitte à me tromper, que vous deviez être en colère, très. Et, même si j'ignore ce qui vous habite et les raisons de votre geste, je reconnais que moi-même, lorsque j'observe notre société, il ne faut pas beaucoup me pousser pour que j'y trouve quelques raisons qui pourraient allumer ma colère. Pour le dire différemment, je vous ai presque compris. Presque ! Mais si je peux me permettre une remarque, je crois que vous vous trompez de cible.
Et si la cible était ailleurs ?
Je ne vais pas vous parler des bénévoles qui s'occupent de ces deux cabines, car je doute que vous m'entendiez. Je ne vais pas évoquer non plus les motivations des gens qui vident l'intérieur de leur maison, envoient la moitié à la déchetterie mais qui ressentent cependant le besoin de ne pas jeter les livres... et les mettent dans les boîtes à livres. Cependant...
Encore une fois, j'ignore complètement qui vous êtes et plus encore les raisons de votre geste mais j'imagine qu'on ne commet pas un tel acte si on est calme, heureux et détendu. D'où ma supposition de colère. Et a priori, contre une cause publique. Si vous aviez été fâché pour une raison toute personnelle, j'imagine que c'est, chez vous, que vous auriez renversé des objets. Non ? Donc colère et cause publique. En gros vous en avez contre la société et vous l'exprimez sur la voie publique. Je me trompe ?
Soit ! Mais, plutôt que de vous enfermer dans une lutte où le perdant ne sera jamais celui qui vous en fait baver (ça peut arriver mais c'est vraiment très rare, surtout quand on en a contre la société dans tout son ensemble), pourquoi ne pas essayer de comprendre comment tout ceci fonctionne ? Et j'en reviens à mon histoire de mauvaise cible. II se trouve que, justement, dans les livres, on peut trouver deux ou trois pistes, pour comprendre "tout ce bazar". Ils permettent de réfléchir à moult sujets et, à force, peuvent nous aider à y voir plus clair. Et, même si je vous entends (presque), me dire que ça vous fait une belle jambe, il s'avère que comprendre mieux son adversaire, c'est déjà l'affaiblir un peu. Parce que c'est savoir ce qui le motive et pourquoi. C'est voir ses forces et ses faiblesses. C'est mieux analyser comment il exerce son pouvoir sur soi et comment le contourner. Alors bon, quitte à être en guerre contre un ennemi - qu'il soit réel ou supposé - ça peut être utile d'y réfléchir un peu. Et pour ça, les livres sont parfaits. Les livres et les réflexions qu'ils amènent, bien entendu !
Il arrive qu'un livre nous transforme et donne un sens nouveau à l'existence
Des livres, il y en a de toutes sortes. Certains nous parlent de l'Histoire et la connaître évite de répéter les erreurs. D'autres nous montrent des réalités différentes des nôtres et peuvent nous permettre de nous élever, afin de regarder le monde sous un autre angle. Des livres pratiques, nous pouvons tirer un savoir-faire. Certains récits nous font parfois voyager. Il y a aussi les livres qui nous inspirent parfois jusqu'à nous servir de guide, ceux encore qui nous éclairent sur nous-mêmes et nous montrent la porte de sortie de nos prisons intérieures. Certains font rire, d'autres pleurer. Il y en a des stupides et de très brillants. Il y en a même certains qui mentent, volontairement, pour nous tromper et mieux nous manipuler, et c'est en en lisant d'autres qu'on finit par le déceler. Et enfin, si on a cette chance, il arrive qu'un livre nous transforme, profondément, il arrive que sa lecture soit le premier pas vers un changement radical qui va donner un sens nouveau à notre vie.

Je ne dis pas avoir vu tous ces livres là, dans le tas que j'ai découvert l'autre matin. Mais, d'une part, mon opinion est subjective (donc si ça se trouve j'ai tort) et d'autre part, peut être que parmi tous ceux-là, un livre, juste un seul était là pour vous, pour moi, pour tout être tenté d'ouvrir la porte des deux cabines. Un, avait peut-être ce pouvoir là. Et même un seul, c'est beaucoup. Si chacun avait la chance de faire cette expérience là, de rencontrer le livre fait pour lui, cela pourrait changer une société. Même cette société qui vous met je crois, en colère, comme vous l'avez été l'autre nuit. En tout cas, j'en ai l'intime conviction.
Une preuve ? Je vais plutôt vous donner la preuve du contraire : toutes les dictatures commencent par détruire les livres. Toujours. Parce que les dictateurs ne veulent surtout pas de changement, une fois qu'ils ont obtenu le pouvoir. Or, les livres permettent de penser. Et penser c'est s'ouvrir au changement. Vous me suivez ?
Plus on voit, observe et découvre des expériences différentes des nôtres et d'autres façons de vivre que la nôtre, plus on se libère de ses haines, ses œillères, ses prisons et aveuglements. C'est comme si on se chargeait d'oxygène pur. Je crois d'ailleurs que c'est pour cela qu'un très gros éditeur parisien est actuellement en train de racheter toutes les maisons d'édition. Afin qu'il n'en reste qu'une. Pour qu'on n'ait plus accès qu'à une seule façon de penser, la sienne. Jusqu'à ne plus se souvenir qu'il en existait d'autres aussi. Et qu'on oublie toute idée d'évolution. Je sais, je digresse un peu, je crois que vous me le permettrez...
Tendre la main, s'élever et transformer la colère en énergie de construire
La prochaine fois que vous serez face à des livres, s'il vous revient encore l'envie de les faire tomber, nous savons qu'ils ne pourront pas se défendre. Mais peut-être que vous vous souviendrez, que vous êtes libre de faire autrement. Tendez la main à la place, juste pour en prendre un ou deux. Pensez que ce sera peut-être, celui qui vous aidera à vous élever, à cette hauteur qui vous permettra d'arriver là où la colère se transforme en l'énergie de construire. Je vous le souhaite, très sincèrement.
PS : si vous ne trouvez pas votre bonheur dans les boîtes à livres, il existe aussi des médiathèques où les livres nous sont prêtés pour une somme infime. Nous en avons une à Grand-Champ, juste derrière la boite à livres, vous la verrez si vous regardez. Comme quoi, même dans cette société qui peut nous sembler bancale, il reste des possibles qui nous tendent la main.
Tout n'est pas cuit, qui l'eut cru ! ;) (oui oh, c'est l'été, je me permets cette blagounette)
Et sinon il y existe aussi de merveilleuses librairies et de très belles maisons d'édition. Mais c'est vrai que le livre est cher en France. Je le regrette, tout comme vous peut être. Bel été...


