Fabien Grolleau : l'art du scénario
Propos recueillis par Solène Bourdais
Mise en ligne le 09 juin 2025
Il est publié par les plus grandes maisons d'édition. Son travail est traduit en plusieurs langues. Fabien est scénariste et dessinateur, et son talent c'est de raconter les histoires en bandes-dessinées. Partons à la rencontre du discret Fabien Grolleau, dont l’œil frise en évoquant toutes les histoires qui restent à raconter.

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J'ai toujours imaginé que les artistes renommés vivaient dans les grandes villes, courant les expos... Comment es-tu arrivé à Grand-Champ ?
C'est la vie, et ma famille, qui m'ont fait poser mes bagages à Grand-Champ, il y a 20 ans. J'ai longtemps habité Nantes, puis Saint-Avé parce que ma compagne y travaillait. Avant d'être auteur, j'étais architecte DPLG(1) et à Grand-Champ nous avons trouvé le terrain pour auto-construire la maison écologique que nous voulions habiter. C'est un bourg sympathique, et je peux faire de longues balades dans la campagne.
R écemment, on m'a offert la BD « Peindre avec les lions » dont tu as écrit le scénario. Je l'ai beaucoup aimée, parce qu'elle montre à quel point l'art pariétal est fabuleux, mais aussi parce qu'elle permet d'imaginer la vie de ces humains-artistes qui vivaient il y a 37 000 ans. Pourquoi as-tu voulu raconter cette histoire ?
J'ai visité la grotte de Lascaux II quand j'avais 10 ans, et ça a été un beau choc ! Pour moi ces dessins, ces peintures sur les murs, racontaient des histoires. Alors que les humains devaient trouver à manger, se protéger de bêtes sauvages, du froid... ils ont dépensé beaucoup de ressources, de temps, et d'énergie à... dessiner ! En fait, il y a 40 000 ans, les humains faisaient déjà de la BD.
Donc je me suis intéressé : j'ai continué de visiter les grottes ornées, et j'y ai emmené à mon tour mes enfants. J'ai rencontré des professionnels, poursuivi mes lectures de préhistoriens et de scientifiques... pour finir par tomber amoureux des dessins de la magnifique grotte Chauvet(2). Ses peintures sont les plus anciennes d'Europe, et elles sont tellement belles ! J'ai proposé le projet aux éditions Dargaud, qui m'ont suivi.
J'ai trouvé ton approche de cette époque intéressante. Tu peux nous en dire plus ?
Classiquement dans la BD, l'homme de la préhistoire, c'est « Rahan », un homme blanc, blond, et bien viril (rires). Dans ce projet, plusieurs aspects m'intéressaient. D'abord, il est fort probable que ces peintures ont été réalisées par des hommes et des femmes. Et puis, à cette époque, les homo sapiens étaient des « gens de couleur », selon l'expression actuelle. Enfin, ils n'étaient pas en concurrence pour capter les ressources, présentes en abondance, et rien n'atteste qu'il y ait eu de la violence entre les groupes humains. J'ai trouvé intéressant de déconstruire les clichés habituels de « l'homme préhistorique forcément blanc, blond et violent », pour coller aux faits scientifiques.
Tu t'es donc appuyé sur des faits scientifiques. Mais tu as dû également faire appel à ton imaginaire ?
Bien sûr ! On sait que les humains sculptaient et peignaient leurs abris. Imaginez ces grandes falaises de calcaire blanc recouvertes de dessins et peintures : ça devait être extraordinaire ! Il reste peu de traces de ces œuvres, et on ne peut qu'imaginer à quel point ces humains-artistes en avaient fait un paysage magnifique.
Et si on ne sait pas comment ils étaient vêtus, on sait qu'ils avaient une culture de l'objet(3), qu'ils portaient des bijoux et des coiffes de coquillages très élaborées. J'ai interprété leur apparence, qui devait être extrêmement soignée, à partir de ces éléments.
Et puis, si on sait qu'ils étaient absolument nos semblables en termes cognitifs et physiques, et que les structures sociales étaient riches, aucune trace ne témoigne des rapports humains, ou n'explique leurs mythologies. Arrive alors l'histoire que j'ai imaginée et qui est racontée dans cette BD : celle d'Ellé, une femme qui peint l'âme des animaux.

Tu as choisis de travailler avec la dessinatrice Anna Conzatti, pourquoi ?
Anna a une approche très humaine, qui pouvait compléter mon travail. Par exemple, elle a dessiné des corps nus. Moi, je n'aurais pas osé. J'avais imaginé des scènes de chasse et de dépeçage ; Elle a pensé aux scènes de collecte de petits animaux, comme les escargots. Elle a très bien dessiné les scènes de joie, de rires, de jeux, où les grands enfants s'occupent des plus petits... On m'a posé la question : mais pourquoi il n'y a pas de bagarre ? Pourquoi il n'y a pas la guerre ? Mais parce que... pas toujours en fait ! (rires)
La BD a longtemps été un art de garçon. Maintenant il y a beaucoup de dessinatrices. Les filles s'en mêlent et c'est une vraie révolution pour la BD. Et tant mieux parce que ça sentait un peu la vieille chaussette !
Comment es-tu passé du métier d'architecte à celui d'auteur ?
Je suis devenu architecte « par accident ». J'aimais le dessin, et architecte ça faisait quand même plus sérieux qu'auteur de BD ! (rires) Mais quand on est passionné par son art, tout ce qui nous en éloigne devient une contrainte. J'ai jonglé entre mon métier et la BD pendant quelques années, et après quelques succès, je me suis dit « maintenant, assumes : tu es auteur ». J'en ai rêvé depuis que j'ai 5 ans, et aujourd'hui c'est mon métier à 100%. C'est génial !
Ceci dit, j'ai beaucoup d'admiration pour les jeunes architectes d'aujourd'hui, et un peu d'inquiétude aussi : ils doivent inventer une architecture durable et supportable pour les temps à venir. Je leur ai d'ailleurs dédié la BD « Le chantier », l'histoire d'une jeune archi qui démarre, et qui nous dévoile les coulisses d'un projet architectural.
Sur quels projets travailles-tu aujourd'hui ?
Actuellement je travaille à une BD sur le parc national des Ecrins, dans les Alpes. Je rencontre tout un tas d'acteurs, et c'est super intéressant de constater comme un parc – donc un projet écologique – anime tout un secteur, toute une société. Je veux le raconter simplement, par une histoire qui parle à tout le monde. C'est la force de la BD.
Et puis j'aime bien animer des ateliers avec les enfants et les jeunes. Par exemple, dans le cadre d'une semaine sur l'égalité des chances à l'école d'architecture de Rennes, des profs et leurs élèves ont organisé des visites, ils ont fait des stages... Moi, j'ai travaillé avec eux pour qu'ils puissent raconter tout ça en BD.
Pour les jeunes, l'image et la BD c'est très intuitif. Ils en maîtrisent parfaitement les codes, et ça leur est parfois plus simple que d'utiliser l'écrit ou la parole. Ça a fait des ateliers géniaux ! Leurs profs n'avaient jamais appris autant de choses sur leurs élèves, sur leurs regards, leurs expériences. Les jeunes ont utilisé naturellement la BD, pour exprimer beaucoup d'aspects personnels, pour se raconter. Et c'était vraiment chouette.
Cette année, je devrais sortir deux BD : une sur Sakarov, le chercheur russe qui a construit la plus grosse bombe nucléaire ayant jamais existé. Et une sur les généalogistes successoraux, qui remontent les traces de la vie d'une personne, pour les assembler comme les pièces d'un puzzle.
Tu as sorti une trentaine de BD, avec beaucoup de thèmes différents. De la traque d'Angela Davis par le FBI, en passant par la vie d'Audubon, le nantais qui voulait peindre tous les oiseaux du nouveau monde... Comment choisis-tu les thèmes sur lesquels tu travailles ?
Parfois on m'en propose, parfois c'est ma propre initiative. Je ne fais pas de BD pointues, « intello ». Ma priorité, c'est d'abord de raconter, avec la force émotionnelle du dessin, qui touche directement.
Et des histoires à raconter, il y en a tellement ! Par exemple, avec des chercheurs de Rennes, on travaille sur « l'aménagement participatif » du château de Villandry, en Touraine. Et je travaille aussi avec des profs d'école d'architecture et une sociologue, sur la façon d'habiter dans le futur. Je m'inspire bien sûr de mon expérience d'auto-constructeur. J'ai de plus en plus envie de travailler sur des sujets plus personnels...Mais je peux tout à fait inventer une histoire avec des dragons ! (rires)
En fait, ce qui m'intéresse, c'est de découvrir plein d'univers pour en raconter les histoires, celle d'un dragon, d'un gén éalogiste, en passant par un chercheur nucléaire russe, ou la vie d'une femme du paléolithique. A chaque nouvelle histoire, je plonge dedans, j'apprends plein de choses et c'est formidable.
Mais le plus important, c'est de continuer à s'amuser à raconter des histoires.
Et de montrer la beauté du monde.
(1) Architecte DPLG : Diplômé Par Le Gouvernement (« carrément ! » comme le dit Fabien)
(2) Il s'agit de sa réplique, la grotte Chauvet n'étant accessible qu'aux scientifiques pour des raisons de conservation
(3) Un exemple d'objet du paléolithique : tête de lion sculptée, période aurignacienne (environ 35 000 ans)

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